Tuesday, August 14, 2007
De l'état actuel de la danse, par Arthur Saint-Léon (II)
DE L'ETAT ACTUEL DE LA DANSEpar A.M. SAINT-LEONPremier Maître de Ballet de l'Opéra de ParisProfesseur de l'Ecole de PerfectionnementLisbonne - Typographie du ProgressoAvril 1856Arthur Saint-Léon et Fanny Cerrito dans la Polka-Redowa2ème PARTIE:Des conservatoires de danseDepuis trente ans environ, les deux principaux conservatoires de musique, ceux de Paris et de Bruxelles, ont fourni d'excellents musiciens en tous genres, et si les plus grandes célébrités musicales y sont étrangères, on ne peut nier cependant que ces deux institutions n'aient été une pépinière d'artistes éminents et hors ligne, qui réunissent pour les masses, le double avantage d'une instruction complète et peu coûteuse. Le public et les directeurs ont profité de cette abondance d'artistes et ce n'est guère que dans les capitales qui jouissent d'un conservatoire, ou dans les villes voisines, que l'on remarque cette supériorité des masses orchestrales; elles sont devenues si communes, que les plus petits théâtres de Paris, les bals même, regorgent d'artistes de talent et dans ces orchestres, jadis peuplés de bons vieux à lunettes que le gaz a fait fuir, qui n'accordaient leurs instruments qu'à chaque changement de direction et criaient gare à l'ut au moindre démanchement, on voit une foule de jeunes gens intelligents dévorant tout à première vue, jouant juste et dont quelques-uns ne sont rien moins que des grands prix du conservatoire et qui se contentent d'une modeste rétribution de 50 à 60 francs par mois, pour un travail quotidien de cinq ou six heures, sans compter les répétitions. Il est donc certain que les conservatoires de musique, tout en produisant trop, ont rendu à l'art musical des services incontestables, tant par la perfection des ensembles, que par la propagation d'une bonne école; mais hélas! on n'en peut pas dire autant de la danse, qui loin de s'ouvrir la marche ascendante de la musique décline de jour en jour.Si l'une jouit du superflu, l'autre n'a pas même le nécessaire. Les corps de ballet, si l'on en exempte ceux de Saint-Pétersbourg, Varsovie, Milan, Lisbonne et Berlin, sont bien au-dessous de ce qu'ils étaient et ceux-ci même pourraient être bien supérieurs à ce qu'ils sont.De nos jours, il est plus difficile de trouver de bons figurants que de bons sujets; à la figurante on ne demande aujourd'hui que de la beauté: c'est un mérite sans doute fort recommandable au théâtre, mais dont le maître de ballet, qui a besoin de jambes, ne peut se contenter; quant au figurant, monstre humain, paria de la danse, c'est sur lui que retombent toutes les malédictions qui pleuvaient jadis sur les Israëlites. Quelle décadence! Quand on pense qu'il y a cent ans à peine, les hommes seuls étaient admis à la scène et en faisaient tous les frais. Il faut avouer aussi qu'il est généralement bien affreux, bien laid et bien vieux notre pauvre figurant, et cependant, sans être tout à fait partisan du figurant danseur, il faut reconnaître qu'il est nécessaire, indispensable même dans les masses et d'ailleurs ne peut-on l'améliorer. Affirmer le contraire n'appartient qu'aux abonnés grisonnants des stalles de l'Opéra, qui ne s'occupent que du rat du corps de ballet que le célèbre Noverre qualifiait de garde côte en raison de ses fonctions, qui consistaient à garnir le fond et les côtés de la scène.Il résulte de cela que le rat, n'étant qu'un accessoire plus ou moins joli, mais tout à fait incapable, que le figurant étant honni, méprisé et banni, le véritable corps de ballet n'existe plus, qu'il n'y a plus ni ensemble, ni ligne, ni figure, ni effets de masse. La prima ballerina transporte, enivre, enthousiasme, sans doute, mais autrefois, on la possédait aussi, et à côté d'elle le corps de ballet ne faisait pas défaut comme de nos jours. Se contenterait-on dans l'Opéra d'une seule chanteuse sans un bon entourage et sans de bons choeurs? Non sans doute. Pourquoi donc croit-on aujourd'hui qu'une jolie danseuse et qu'une vingtaine de rats ignorants suffisent aux exigences du public? Cet état de choses est malheureusement trop général. Ce n'est pas le public, tout aussi amateur qu'autrefois du bon et du beau, qu'il faut en rendre responsable: la faute remonte à la source même de l'art, c'est-à-dire à l'organisation actuelle des conservatoires de danse.Bon nombre de personnes croient qu'il n'y rien de plus facile que de danser; nous déplorons qu'il n'en soit pas ainsi et nous avons hélas! la preuve journalière du contraire. L'art de la danse est d'autant plus difficile qu'il n'a pas comme tous les autres une langue qui lui soit propre et par conséquent pas de méthodes au moyen desquelles l'élève puisse faire des études régulières, et recueillir le fruit de l'expérience des bons maîtres, qui ne laissent après eux que le souvenir ou la tradition plus ou moins exacte. La danse est donc enseignée, pour ainsi dire, par coeur, et l'élève, livré à l'habileté souvent contestable du professeur, qui démontre ce qu'il croit bon, qui a des principes à lui, toujours différents de ceux de ses collègues et qui n'a sous les yeux aucune méthode pour se guider, en sorte que loin de mettre l'élève dans la bonne voie, il l'en détourne par un travail contraire à son aptitude. Si l'on examine maintenant toutes les conditions nécessaires à un choix destiné à la danse, on rencontre plus de difficultés à trouver un sujet propre à suivre cette carrière artistique que toute autre. Outre les dispositions proprement dites, c'est-à-dire la force, le don d'imitation, la grâce naturelle, l'esprit même, il faut encore le physique, la conformation et l'oreille. ce qui influe aussi grandement sur l'élève, c'est une éducation musicale spéciale; la musique est l'âme de la danse, elle est à la danse ce que l'organe est au langage. Sans la musique ou sans un rythme quelconque, pas de danse et aucun moyen de la régler; elle doit donc entrer dans l'éducation du danseur, simultanément avec les principes de son art.La véritable école de danse n'existe pas et n'a jamais existé: rien de sérieux n'a été tenté à cet égard, et bien que nous n'ayons pas la prétention d'établir complétement, par nos observations, les bases sur lesquelles cette école pourrait être fondée, nous croyons cependant pouvoir en signaler les conditions essentielles à l'aide desquelles on obtiendrait des résultats sinon irréprochables, du moins supérieurs à ceux obtenus jusqu'à présent.Pour établir une école de ce genre, seul moyen d'empêcher la ruine de la danse et d'améliorer la position éphémère du professorat, il fallait avant tout créer une langue spéciale, figurée, écrite et remplaçant la parole; pour démontrer les différents mouvements du corps, des bras et des jambes et la durée de ces mouvements, il fallait des signes de convention et des notes, cette langue existe aujourd'hui et nous l'avons nommée la Sténo chorégraphie; elle est à la portée de tous et des essais faits sur des enfants, en ont donné la preuve; mais par elle-même, elle ne peut avoir aucune importance, si elle n'est point généralisée et adoptée dans un conservatoire central. Ce grand point obtenu, il surgira de cette adoption propagée, des règles, des méthodes, des exercices, des résumés d'expérience, et au point de vue de l'art, des garanties d'avenir pour le maître comme pour l'élève. Une des considérations les plus importantes, c'est l'état physique de l'enfant destiné à la danse: il faut donc, croyons-nous, qu'il soit soumis à un examen scrupuleux médico-chirurgical et nous insistons d'autant plus à cet égard, que trop souvent le travail corporel imposé à l'élève développe des maladies dont le germe existait, et que l'exercice rend incurables.C'est alors du temps et un avenir perdus, une existence nouvelle à se créer, et lorsque l'on a goûté de l'art, il est difficile de le quitter, même sans autre espoir que celui de la médiocrité. Que de parents peu fortunés, éblouis par le succès et l'aisance, obtenus par quelques artistes de talent, mettent leurs enfants au théâtre sans s'assurer s'ils possèdent cette condition essentielle, et plus tard, que de déceptions et d'amers regrets, quand relégué parmi les médiocrités, l'artiste, côte à côte avec le luxe et la fortune perd chaque jour tout espoir d'y arriver; bien des existences tournent alors à la débauche, à l'inconduite, écueil que des conservatoires institués par l'Etat devraient leur éviter.A ces considérations, nous croyons devoir en ajouter d'autres, qui trouvent ici leur place naturelle.Excepté à Saint-Pétersbourg et à Milan, l'élève admis au conservatoire de danse est libre d'en sortir quand bon lui semble; aucun engagement ne le retient, et cette liberté rend en quelque sorte les résultats nuls et l'institution inutile. L'élève, pressé par la nécessité, par le besoin de pourvoir à son existence, ou poussé par le désir de monter immédiatement sur les plaches, part au moment où il aurait le plus besoin de soins. A défaut de bourses fournies par le gouvernement, comme dans les conservatoires de musique, et puisqu'il y a tant de caisses philanthropiques pour les artistes, ne pourrait-on pas en établir une au profit de la dite caisse pour la danse ou distraire de celles qui existent les fonds nécessaires à l'entretien de l'élève, jusqu'à ce qu'il ait terminé son éducation chorégraphique; sauf à exiger, en retour ou pendant cette éducation, qu'il soit attaché, au profit de ladite caisse, au Théâtre de Danse, dont nous avons démontré la nécessité dans un précédent article.L'élève joindrait ainsi la pratique à la théorie, et cette pratique s'exercerait sous l'oeil du conservatoire et permettrait au professeur d'achever son oeuvre jusqu'à ce que l'élève puisse voler de ses propres ailes.Quant à l'organisation intérieure du conservatoire de danse, il y aurait d'importantes dispositions à prendres. La première, et la plus essentielle, est la création des classes au nombre de quatre:1°) Classe préparatoire - dispositions des membres (travail pour ainsi dira anatomique)2°) Classe de principes, avec adjonction à cette classe d'une leçon de solfège3°) Classe intermédiaire et de Sténochorégraphie, avec obligation pour l'élève de lire et d'écrire cette langue de la danse4°) Classe de perfectionnementChacune de ces classes suivrait, bien entendu, une méthode graduelle, maintiendrait les professeurs dans la bonne voie, et nous sommes convaincus qu'en quelques années, on obtiendrait des sujets et des ensembles dignes d'un art, qui n'a jamais été enseigné aussi sérieusement qu'il mérite de l'être.Le célèbre Saphir disait: "La danse ne souffre pas la médiocrité, c'est idéalement beau, ou plus bas que le tréteau." Cet axiome est des plus justes, mais pour en justifier la 1ère partie, il faut avant tout cultiver la racine de cet art et faciliter à ceux qui s'y vouent le moyen d'arriver, sinon à la perfection, du moins à être autre chose que des sauteurs.A suivre...3ème PARTIE: Organisation des corps de ballet
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