Tuesday, September 11, 2007
Opéra de Paris - Candida Höfer
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Monday, September 10, 2007
De l'état actuel de la danse, par Arthur Saint-Léon (IV)
DE L'ETAT ACTUEL DE LA DANSEpar A.M. SAINT-LEONPremier Maître de Ballet de l'Opéra de ParisProfesseur de l'Ecole de PerfectionnementLisbonne - Typographie du ProgressoAvril 1856Saint-Léon et Fanny Cerrito dans La Fille de Marbre4ème ET DERNIERE PARTIE: Du genre actuel de la danse - Des danseurs - Des danseuses - Des maîtres de ballet - De la danse de salonLa mode et le temps ont fait subir à la danse ses révolutions, aussi bien dans l'exécution, que dans la composition des ballets. De même qu'en politique chaque régime a vu ses boudeurs, décidés à regretter le passé, quelque supérieur que soit le présent, de même, on rencontre aujourd'hui une foule de vieux amants de Terpsichore, qui prétendent que la danse n'est plus ce qu'elle était il y a soixante ans, et que l'on dansait mieux avant 89. Sans vouloir trancher net la question, nous croyons qu'au fond, cet art a beaucoup perdu, et nous avons suffisamment démontré dans nos précédents articles les réformes nécessaires pour l'arrêter dans sa décadence. Il reste donc à éclaircir la question de savoir si l'on dansait mieux autrefois qu'aujourd'hui. Sous le rapport de la régularité et de la perfection des mouvements, notre opinion est affirmative; et cette supériorité s'explique, elle était la conséquence de l'Epoque et de la mode. Jadis, la danse entrait dans l'éducation d'une grande partie de la société, elle en était le complément indispensable, on rencontrait même des amateurs qui exécutaient mieux que beaucoup de nos premiers danseurs actuels, et comme la danse était propagée dans le monde, voire même dans le peuple, et que l'on savait apprécier la perfection du danseur, l'artiste s'appliquait spécialement à la correction; peu à peu cependant, la mode de danser, dans la véritable acception du mot, changea, et aujourd'hui, la nouvelle génération, à tort ou à raison, a complétement renoncé à ce gracieux et gymnastique exercice. Pendant cette nouvelle révolution de la mode, les artistes d'Ecole, de jour en jour moins compris, tombaient en désuétude, entraînant l'art dans leur chute, lorsque Marie Taglioni vint donner une nouvelle impulsion à la danse, en apportant avec elle un genre nouveau, plus approprié au goût du moment.Mais si l'on dansait mieux autrefois, comme école et difficultés (ce dont nous convenons), si même on dansait devant un public expert, il ne s'en suit pas qu'il soit plus aisé de frapper ce public que celui qui n'est point initié aux secrets de la danse, et c'est là précisément la position dans laquelle se trouvent les artistes. Il faut de nos jours convaincre par le fait, et non par la raison: sans rien connaître aux difficultés vaincues, le public exige maintenant un je ne sais quoi qui le charme et le transporte, la véritable sensation est à ce prix; tandis qu'autrefois on était sûr de produire de l'effet avec une savante exécution. Qu'importe aujourd'hui au public qu'un danseur soit en-dedans, ou en-dehors, qu'il ait les pointes basses ou émoussées, qu'il soit bien placé, qu'il file une pirouette, etc, etc., ce qu'on veut, c'est un ensemble passable, mais pour arriver à ce but, il faut, n'en déplaise au public, si peu connaisseur de la véritable danse, des qualités peut-être plus difficiles à obtenir qu'une perfection isolée acquise par le travail.Indépendamment des écoles défectueuses, de la pénurie de professeurs, du petit nombre de maîtres de ballet, capables de tirer partie des moyens de l'artiste, et de la difficile éducation des danseurs, nous attribuons le manque de sujets hors ligne à la difficulté de frapper un spectateur duquel on n'est pas compris. Le public, croyons-nous, a donc été une des causes principales de ces espèces de dévergondage chorégraphique, qui s'est glissé parmi les danseurs et danseuses, mais s'il s'engoue quelquefois, et partiellement, d'un artiste d'un mérite souvent contestable, il sait fort bien, en général, distinguer immédiatement un talent type, si ce talent est en harmonie avec le goût de notre époque.Ces sortes de talents, ces êtres privilégiés, ces Etoiles (puisque tel est le mot consacré) sont rares, très rares, et depuis trente ans environ que règne la nouvelle école, il n'y a guère que quatre danseuses qui aient mérité ce titre, passablement prétentieux, mais vrai au fond, puisque comme leurs soeurs du firmament, elles ne brillent que la nuit, et filent quelquefois: ce sont Melle Taglioni (créatrice du genre nouveau), Fanny Elssler, Cerrito, et Carlotta Grisi. Melle Taglioni dansait-elle mieux que ses devancières? Non certainement, mais sa danse différait du genre qui existait alors, elle était surtout remarquable par un mélange de poésie et de simplicité, de grâce et de suavité qui frappaient tout d'abord le public, c'était en un mot un type.Les farouches critiqueront ses bras qu'elle tenait, contrairement aux autres danseuses, presque toujours baissés, ils critiqueront aussi son corps qu'elle portait plus en avant que ne le voulait l'école d'alors, mais ce sont précisément ces heureux défauts qui causeront l'immense sensation qu'elle produisit. Melle Taglioni est sans contredit la première danseuse de ce siècle qui ait inauguré un nouveau genre, et c'est à elle que l'on doit tout le changement opéré parmi les danseuses et même dans le genre de composition. La Sylphide, chef d'oeuvre poétique, suave, aérienne création, restera éternellement le type incarné de Marie Taglioni. Il faut remarquer cependant que Melle Taglioni, bien que ne s'appliquant pas si particulièrement que ses devancières à l'observation des perfections de l'école, en possédait encore plus que nos danseuses actuelles.Fanny Elssler fut la seconde apparition moderne, et bien marquée. Son genre était plus mondain, moins heureusement fantastique que celui de Taglioni. Quoique ne dansant pas aussi bien que d'autres célébrités antérieures, Fanny Elssler séduisait et entraînait et, preuve évidente que le goût du public était déjà changé, c'est que sa soeur Thérèse, qui dansait très correctement le genre école, ne produisait auprès d'elle qu'un médiocre effet.Fanny Cerrito était une reproduction de Taglioni, mais plus naïve. C'est la danseuse de la nature et de l'inspiration, la perfection du modèle animé mais avec moins d'école que les deux précédentes.Carlotta Grisi tenait une place intermédiaire entre le genre poétique de Taglioni et celui d'Elssler.Tout en rendant justice au talent de MMelles Elssler, Cerrito et Carlotta Grisi, nous croyons cependant devoir répéter que l'apparition de Taglioni fut la seule d'un genre nouveau et bien décidé. Son succès légitime et grand eut pour résultat de faire reporter toute l'attention du public sur le sujet principal du ballet. On cessa dès lors de composer des ouvrages dont l'effet reposait sur l'ensemble. L'on sacrifia tout à la mode. A l'astre du jour, à la Sylphide, modèle du genre, succédèrent bientôt une infinité de ballets, La Fille du Danube, La Fille du Feu, La Naïade etc. Il fallait alors, à toute force, une fille baptisée d'un élément quelconque ou d'un nom caractérisant le sujet principal et unique. Exécuté par une célébrité, le succès était certain.Cependant, cet engouement pour un genre nouveau, où tout était sacrifié au 1er sujet, devait amener des résultats dont on peut apprécier aujourd'hui l'importance.Dans la composition de ces ouvrages faits pour un seul nom, il fallait nécessairement éloigner tout entourage susceptible de ternir l'éclat du sujet principal: l'astre éclipsé, l'ouvrage perdait sa valeur et devenait un écueil pour les imitatrices du genre nouvellement créé, et les ballets faits pour Melle Taglioni en sont la preuve.Une circonstance décida surtout du succès de cette révolution chorégraphique. Nous voulons parler du manque de danseurs à cette époque, car l'élan donné par la plus belle moitié du genre humain ne fut pas suivi par l'autre. Excepté Perrot qui, sans avoir été un type nouveau, possédait cependant un talent spirituel fin et empreint d'originalité, le danseur tomba en désuétude complète, et le seul soutien de l'étendard de la danse masculine dut renoncer, lui aussi, à occuper une place, trop secondaire, qu'on lui réservait à côté d'Etoiles en vogue. Plusieurs maîtres de ballet de talent en firent autant lorsqu'apparut Fanny Elssler, nouvelle et heureuse consécration du genre à la mode, mais on s'occupa peu de leur absence tant que des Etoiles vinrent éblouir les spectateurs et remplir la caisse des directeurs.Les hommes persistèrent donc dans leur genre efféminé, monotone. Ayant pris le mauvais côté de l'impulsion donnée par Melle Taglioni, et abandonné le bon côté de la danse, le danseur devint désagréable et en opposition avec les sentiments de l'époque. On le supportait, on le laissait danser, à titre d'indemnité, et remplir à côté du sujet principal, des corvées mimiques ou autres, mais on ne lui pardonnait ses sauts insipides que comme comme indispensables pour laisser prendre haleine à l'étoile. Le public ne supposant pas la possibilité de faire mieux a donc eu parfaitement raison de crier "à bas le danseur". Le danseur n'ayant pas su se tracer un nouveau sillon selon le goût de l'époque, a fait fausse route, perdu l'école, et est ainsi tombé par sa propre faute dans les utilités désagréables. D'un autre côté, les maîtres de ballet de mérite se virent obligés de changer leur manière de faire. La ravissante idée de la Sylphide, que l'on attribue particulièrement à Nourrit, ayant complétement réussi, on décida de procéder à l'avenir de la même manière, c'est-à-dire que le maître de ballet reçut un programme d'un auteur, adopté par la direction, et ne fut chargé que de la partie dansante de l'ouvrage.Certes, il est très possible de réussir parfois avec ce système, surtout lorsque l'dée originale se prête à la mise en Danse, mais cependant, il est bien évident que l'imaginative du maître de ballet se trouve ainsi complétement enchaînée par la donnée du Librettiste. D'ailleurs, il arrive souvent qu'un sujet charmant à la lecture, et paraissant devoir réunir toutes les qualités d'un ballet, perd tout son attrait une fois traduit en pantomime, tandis qu'au contraire, ce qui serait très heureux en chorégraphie et produirait un véritable effet, ne peut que très imparfaitement s'expliquer dans le texte du libretto.Il est rare de bien faire comprendre les beautés d'un tableau, il faut le voir; et bien, la danse n'est autre chose que la peinture en action. La charpente entière d'un ballet doit provenir de celui qui le conçoit. Gioja, Vigano, et presque tous les grands maîtres de ballet, donnaient même jusqu'à la coupe musicale de leurs scènes et de leurs pas. Et cela s'explique, car une note, une mesure, peuvent ôter ou donner l'effet cherché; un rythme musical, plus ou moins en harmonie avec le sentiment conçu par le maître de ballet, peut rendre ou défigurer sa pensée. En un mot, le chorégraphe est un peintre et son coup de pinceau rend son idée primitive.On comprendra donc que cette nouvelle servitude, que l'on imposait à des hommes d'un mérité réel, tels que M. Aumer, Albert, etc., ait été la principale cause de leur retraite. Il fallut alors trouver de complaisants chorégraphes, ou metteurs de ballets, et ce ne fut pas la plus grande difficulté. Tant qu'il y eut des exécutants éminents pour personnifier quelques jolies idées de certains poètes renommés, les ouvrages marchèrent à pleines voiles, mais depuis, les danseuses hors ligne, comme celles que nous avons citées, ont en partie disparu de l'horizon, et nous persistons à dire qu'il n'y a plus actuellement parmi les danseuses en renommée un type de talent exceptionnel; par conséquent, le ballet, où tout est sacrifié à un seul sujet, devient impossible. Nous aurions bien à citer un fort joli essaim de talents très estimables, mais en France, comme partout ailleurs, on manque d'étoiles pour soutenir ces ballets spéciaux. On sent donc peu à peu la nécessité de revenir aux ouvrages ballets d'ensemble, et c'est là que le maître de ballet devient obligatoire, pour placer chaque artiste selon son mérite, pour joindre habilement la diversité des genres, et pour coordonner et mesurer les effets. Malheureusement, les maîtres de ballet sont pour le moins aussi rares que les étoiles. L'Italie possède encore quelques hommes de mérite, entre autres M. Cortesi et S. Taglioni, mais le genre de ces compositeurs est principalement le ballet d'action, peu apprécié de nos jours. Nous comprendrions plutôt la nécessité d'un auteur littéraire pour ce genre de ballet dont le sujet est le principal élément, et la danse, l'accessoire; car il ne faut pas se dissimuler que la pantomime ne peut rendre que le présent, et n'est supportable que lorsqu'elle est bien amenée et lorsqu'elle détermine une danse dérivant de l'action. En pantomime, on n'explique ni la passé ni le futur, et le présent même n'est bien lucide que si l'action est momentanée ou rendue compréhensible par l'andamento du sujet. A moins d'une grande révolution dans nos moeurs et nos idées, le ballet d'action ne semble donc pas appelé à se relever de sitôt, et les quelques chorégraphes et artistes adonnés à ce genre, ne sont pas ceux à qui il est réservé de régénérer l'art. En Italie même, on adopte preque généralement le ballet mixte, genre italien et français; dans les autes parties de l'Europe, où l'on se voue spécialement au ballet dansé, le véritable chorégraphe, le créateur est rare.Ce sont pour la plupart des reproducteurs qui assemblent à leur manière ce qu'ils ont vu ailleurs. Rendons cependant justice à M. Perrot, un des seuls talents réels, délicats et inventeurs.Mais comment naissent donc ces centaines de soi-disant chorégraphes qui peuplent les théâtres? Un danseur, un mime obscur, quelquefois même un simple figurant, trop nul pour trouver un engagement, se dit un jour: "j'ai vu ceci, cela, d'un côté et d'autre, soyons chorégraphe". Il assaisonne ses souvenirs incomplets de décors, de costumes, de musique et d'une danseuse aimée, puis il signe son oeuvre et le voilà chorégraphe. Est-il musicien, a-t-il des idées, du goût, en un mot les conditions nécessaires pour devenir maître de ballet? Non, il a vu, et il reproduit. Voilà comment surgit cette multitude de maîtres de ballet de notre époque, et l'on conviendra avec nous qu'il n'est pas étonnant que la danse ne progresse pas. En effet, que voyons-nous? D'un côté, de prétendues étoiles, placées tout d'abord comme premières par orgueil ou par intrigue, et qui, faute d'un talent réel, s'éclipsent comme elles apparaissent. D'un autre côté, le manque de véritables maîtres de ballet, aptes à composer et à faire ressortir les talents naissants, puis l'absence complète de mimes et comiques devenus depuis longtemps inutiles, et qui n'ayant pas été remplacés, rendent plus difficiles un bon ensemble; tout cela explique facilement la rareté des bons ballets. Avec une organisation sérieuse dans quelques conservatoires et théâtres, en sacrifiant un peu le phtisique à l'art, tout cela changerait bientôt de face, et comme la danse plaît, et plaira toujours, une amélioration immense ne se ferait pas attendre dans cet art. Tout dépend d'une bonne base et elle manque en France où il y a précisément tout ce qu'il faut pour l'établir.La danse des salons s'est aussi métamorphosée: on marche maintenant une figure en causant, et en cas de lacune dans la conversation, la figuration la comble, c'est une danse triste pendant laquelle on peut penser à autre chose. Les esprits travaillent tant de nos jours que la danse a suivi le courant, mais la joyeuse jeunesse a secoué le joug, et a créé une espèce de fantaisie semi-séria, qui je l'avoue, dussent les classiques me maudire, ne manque pas d'une certaine originalité, surtout lorsqu'elle est exécutée par nos treni modernes, Brididi, Rigolette et autres Rose Ponpon. Déjà l'on voit poindre dans les salons un diminutif de cette danse prohibée, et cependant moins choquante, que la plupart des danses du midi que l'on applaudit sur la scène. Qui sait? On verra peut-être sortir de ce caprice chorégraphique un nouveau genre caractère.Nous terminons ici nos rapides et incomplètes considérations sur l'état actuel de la danse, en faisant des voeux pour le prompt rétablissement d'institutions sérieuses, seul moyen de régénérer le ballet, et dont surgiront au moins de véritables chorégraphes.FIN
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